By Light Unseen



Histoire Des Vampires
et
Des Spectres Malfaisans
Avec un Examen du Vampirisme

by Collin de Plancey

Histoire des Vampires
Seconde Partie.
Vampires Plus Récens.

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CHAPITRE II.
Des Broucolaques, ou Vampires excommuniés.--Histoire d'un Vampire de Candie.--Autre Vampire de même sorte en Angleterre.--Des morts qui mâchent dans leurs tombeaux, etc.

Les Grecs croient aussi que les corps de ces excommuniés apparaissent souvent aux vivans, et en plein jour comme au milieu de la nuit; qu'ils parlent et tourmentent; et que leur présence est dangereuse. Léon Allatius, qui écrivait au 16e siècle,


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entre là-dessus dans le grands détails: il assure que, dans l'île de Chio, les habitans ne répondent que lorsqu'on les a appelés deux fois; car ils sont persuadés que les Broucolaques (c'est le nom qu'ils donnent à leurs Vampires ou spectres d'excommuniés) ne peuvent les appeler qu'une fois seulement. Ils croient encore que lorsqu'un Broucolaque appelle une personne vivante, si cette personne répond, le spectre ou Vampire disparaît; mais celui qui a répondu meurt au bout de quelques jours. On conte la même chose des Vampires de Bohème, de Moravie, etc.

Pour se garantir de la funeste influence des Broucolaques les Grecs déterrent le corps du spectre, et le brûlent après avoir récité sur lui


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certaines prières. Alors ce corps réduit en cendres ne paraît plus.

Ricaut, qui voyagea dans le levant, au 17e siècle, ajoute (1) que la peur des Broucolaques est générale aux Tures comme aux Grecs. Il raconte un fait qu'il tenait d'un Caloyer Candiot, qui lui avait assuré la chose avec serment. Un homme étant mort dans l'île de Milo, excommunié pour une faute qu'il avait commise dans le Morée fut enterré sans cérémonies dans en lieu écarté, et non en terre sainte. Les habitans furent bientôt effrayés par d'horribles apparitions, qu'ils attribuèrent à ce malheureux: on ouvrit son tombeau au bout de quelques années; on y trouva son


(1) Etat de t'Eglise grecque, ch. 15.


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corps enflé, mais sain et bien dispos; ses veines étaient gonflées du sang qu'il avait sucé: on reconnut là un Broucolaque ou Vampire. Lorsqu'on eut délibéré sur ce qu'il y avait à faire, les Caloyers furent d'avis de démembrer le corps, de le mettre en pièces, et de le faire bouillir dans le vin; car c'est ainsi qu'ils en usent de temps très-ancien envers les corps des Vampires.

Mais les parens du mort obtinrent, à force de prières, qu'on différât cette exécution; et cependant ils envoyèrent en diligence à Constantinople, pour obtenir du patriarche l'absolution dont le défunt avait besoin. En attendant le corps fut mis dans l'église, où l'on disait tous le jours des prières pour son repos. Un


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matin que le Caloyer dont on a parlé faisait le divin service, on entendit tout d'un coup une espèce de détonation dans le cercueil: on l'ouvrit; et l'on trouva que le corps était dissout, comme doit l'être celui d'un mort enterré depuis sept ans. On remarqua le moment où le bruit s'était fait entendre; c'était précisément l'heure où l'absolution accordée par le patriarche avait été signée.

Les Grecs et les Turcs s'imaginent encore que les cadavres des Broucolaques mangent pendant la nuit, se promènent, font la digestion de ce qu'ils ont mangé, et se nourrissent réellement. Ils content qu'en déterrant ces Vampires on en a trouvé qui étaient d'un coloris vermeil, et dont les veines étaient tendues par la quantité


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du sang qu'ils avaient sucé; que lorsqu'on leur ouvre le corps ces spectres jettent des ruisseaux de sang, aussi chaud, aussi bouillant, aussi frais que serait celui d'un jeune homme d'un tempérament sanguin. Cette opinion populaire est si généralement répandue, que tout le monde en raconte des histoires circonstanciées.

L'usage de brûler les corps des Vampires est très-ancien dans plusieurs autres pays, comme on a déjà dû le remarquer. Guillaume de Neubrige, qui vivait au 12e siècle, raconte (1) que de son temps on vit en Angleterre, dans le territoire de Buckingham


(1) Wilhelmi Neubrig. Rerum anglic. Lib. V, cap. 22.


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un spectre qui apparaissait en corps et en âme, et qui vint plusieurs nuits de suite épouvanter sa femme et ses parens. On ne se défendait de sa méchanceté qu'en faisant un grand bruit lorsqu'il approchait. Il se montra même à certaines personnes en plein jour. L'évêque de Lincoln assembla sur cela son conseil, qui lui dit que pareilles choses étaient souvent arrivées en Angleterre, et que le seul remède que l'on connût à ce mal était de brûler le corps du spectre.

L'évêque ne put goûter cet avis, qui lui parut cruel: il écrivit une cédule l'absolution, qui fut mise sur le corps du défunt, que l'on trouva aussi frais que le jour de son enterrement; et depuis ce moment le fantôme


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ne se montra plus. La même auteur ajoute que les apparitions de ce genre étaient alors très-fréquentes en Angleterre.

Quant à l'opinion répandue dans le Levant que les spectres se nourrissent, on la trouve encore établie depuis plusieurs siècles dans d'autres contrées. Il y a long-temps que les Allemands sont persuadés que les morts mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux, et qu'il est facile de les entendre grogner en broyant ce qu'ils dévorent (1). Philippe


(1) Les anciens croyaient aussi que les morts mangeaient. Je ne sais pas s'ils les entendaient mâcher; mais il est certain qu'il faut attribuer à l'idée qui conservait aux morts la faculté de manger l'habitude des repas funèbres qu'on servait de temps immémorial et chez tous les peuples sur le tombe du défunt. Dans l'origine les prêtres mangeaient ce festin pendant la nuit, ce qui fortifiait l'opinion susdite; car les vrais mangeurs ne s'en vantaient pas. Chez les peuples un peu décrassés les parens mangèrent eux-mêmes les repas des funérailles.


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Rehrius au 17e siècle, et Michel Raufft, au commencement du dix-huitième, ont même public des traités sur ces morts qui mangent dans leurs sépulcres (1).

Après avoir parlé de la persuasion où sont les Allemands qu'il y a des morts qui dévorent les linges et tout ce qui est à leur portée, même leur propre chair, ces écrivains remarquent qu'en quelques endroits de


(1) De Masticatione mortuorum in tumulis.


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l'Allemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met dans le cercueil une motte de terre sous le menton; qu'ailleurs on leur fourre dans la bouche une petite pièce d'argent et une pierre, et que d'autres leur serrent fortement la gorge avec un mouchoir.

Ils citent ensuite plusieurs morts qui ont dévoré leur propre chair dans leur sépulcre. On doit s'étonner de voir de savans trouver quelque chose de prodigieux dans des faits aussi naturels. Pendant la nuit qui suivit les funérailles du comte Henri de Salm on entendit dans l'église de l'abbaye de Haute-Seille, où il était enterré, des cris sourds, que les Allemands auraient sans doute pris pour le grognement d'une personne qui mâche;


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et le lendemain, le tombeau du comte ayant été ouvert, on le trouva mort, mais renversé et le visage en bas, au lieu qu'il avait été inhumé sur son dos. On l'avait enterré vivant.

On doit attribuer à une cause semblable l'histoire rapportée par Raufft d'une femme de Bohême, qui en 1545 mangea dans sa fosse la moitié de son linceul sépulcral.

Dans le dernier siècle un pauvre homme ayant été inhumé précipitamment dans le cimetière, on entendit pendant la nuit du bruit dans son tombeau: on l'ouvrit le lendemain, et on trouva qu'il s'était mangé les chairs des bras. Cet homme, ayant bu de l'eau-de-vie avec excès, avait été enterré vivant.

Une demoiselle d'Augsbourg étant


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tombée en léthargie, on la crut morte, et son corps fut mis dans un caveau profond, sans être couvert de terre. On entendit bientôt quelque bruit dans son tombeau; mais on n'y fit pas attention. Deux on trois ans après quelqu'un de la même famille mourut: on ouvrit le caveau, et l'on trouva le corps de la demoiselle auprès de la pierre qui en fermait l'entrée. Elle avait inutilement tenté de déranger cette pierre, et elle n'avait plus de doigts à la main droite, qu'elle s'était dévorée de désespoir.