By Light Unseen



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Histoire Des Vampires
et
Des Spectres Malfaisans
Avec un Examen du Vampirisme

by Collin de Plancey

Troisième Partie.
Examen du Vampirisme.

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CHAPITRE II.
Le Vampirisme enfanté par l'imagination et la peur. -- Anecdotes sur les funestes effets de l'imagination effrayée.

Le marquis d'Argens, après avoir montré une certaine crédulité pour les Vampires, dont les prodigieuses aventures ont pu surprendre son esprit étonné, se relève bientôt de cette faiblesse; et il raisonne ainsi sur cette matière dans le mêmes lettres juives que nous avons citées:

"Il y a deux moyens différens de


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détruire la crainte des Vampires, et de montrer l'impossibilité des funestes effets que l'on fait produire à des cadavres entièrement privés de sentiment: le premier est d'expliquer par des causes physiques tous les prodiges du Vampirisme; le second est de nier totalement la vérité de ces histoires; et ce dernier parti est sans doute le plus certain et le plus sage.

Mais, comme il y a des personnes à qui l'autorité d'un certificat donné par des gens en place paraît une démonstration évidente de la réalité du conte le plus absurde, avant de montrer combien peu on doit se fier aux formalités de justice dans les matières qui regardent uniquement la philosophie, je supposerai pour un temps


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qu'il meurt réellement plusieurs personnes du mal qu'on appelle le Vampirisme. J'expose d'abord ce principe qu'il se peut faire qu'il y ait des cadavres qui, quoique enterrés depuis plusieurs jours, répandent un sang fluide par les conduits de leur corps: j'ajoute encore qu'il est très-aisé que certaines gens se figurent d'être sucés par les Vampires, et que la peur que leur cause cette imagination fasse en eux une révolution assez violente pour les priver de la vie. Etant occupés tout la journée de la crainte que leur inspirent ces prétendus spectres, est-il fort extraordinaire que pendant leur sommeil les idées de ces fantômes se présentent à leur imagination, et leur causent une terreur si violente que quelques-uns en meurent dans


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'instant, et quelques autres peu de jours après. Combien de gens n'a-t-on pas vus qui sont morts de frayeur! La joie même n'a-t-elle pas produit un effet aussi funeste?

On a publié, en 1733, un petit ouvrage intitulé (1): Pensées philosophiques et chrétiennes sur les Vampires, part Jean-Christophe Herenberg. L'auteur parle en passant d'un spectre qui lui apparut à lui-même en plein midi: il soutient en même temps que les Vampires ne font pas mourir les vivans, et que tout ce qu'on en débite ne doit être attribué qu'au trouble de l'imagination des malades.


(1) Philosophicae et Christianae cogitations de Vampiriis, a Joanne Christophoro Herenbergio.


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Il prouve, par diverses expériences, que l'imagination est capable de causer de très-grands dérangemens dans le corps et dans le humeurs.

Il rappelle qu'en Esclavonie on empalait les meurtriers, et qu'on y perçait le coeur du coupable par un pieu qu'on lui enfonçait dans la poitrine. Si l'on a employé le même châtiment contre les Vampires, c'est parce qu'on les suppose auteurs de la mort de ceux dont on dit qu'ils sucent le sang.

Christophe Herenberg donne quelques exemples de ce supplice exercé contre les Vampires, l'un dès l'an 1337, un autre en l'année 1347, etc.; il parle de l'opinion de ceux qui croient que les morts mangent dans leurs tombeaux, sentiment dont il tâche de


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prouver l'antiquité par Tertullien, au commencement de son livre de la Résurrection, et par S. Augustin, livre VIII de la Cité de Dieu.

Le passage de Tertullien qu'il cite prouve fort bien que les païens offraient de la nourriture à leurs morts, même à ceux dont ils avaient brûlé les corps, dans la croyance que leurs âmes s'en repaissaient. Ceci ne regarde que les païens; mais S. Augustin parle en plusieurs endroits de la coutume qu'avaient les chrétiens, surtout ceux d'Afrique, de porter sur les tombeaux de la viande et du vin, dont on faisait des repas de dévotion, et où l'on invitait les parens, les amis et les pauvres. Ces repas furent défendus par la suite, parce que les chrétiens manquaient rarement de s'y enivrer.


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En examinant le récit de la mort de prétendus martyrs du Vampirisme, on découvre tous les symptômes d'un fanatisme épidémique, et l'on voit clairement qu'il faut tout attribuer aux impressions produites par la terreur. Une jeune fille, nommée Stanoska, qui s'était couchée en parfaite santé, se réveille au milieu de la nuit, toute tremblante; elle pousse des cris affreux, et dit que le fils du heiduque Millo, mort depuis neuf semaines, est venu pour l'étrangler pendant son sommeil. De ce moment elle ne fait plus que languir, et, au bout de trois jours, elle meurt.

Pour quiconque a un peu de philosophie dans l'esprit n'est-il pas évident que ce prétendu Vampirisme


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est un effet de l'imagination effrayée? Voilà une fille qui s'éveille, qui dit qu'on a voulu l'étrangler, et qui cependant n'a point été sucée, puisque ses cris ont empêché le Vampire de faire son repas. Apparemment qu'elle ne fut pas non plus sucée dans la suite, puisque sans doute on ne la quitta pas pendant les autres nuits, et que si le Vampire l'eût voulu molester, ses plaintes en eussent averti les assistans: elle meurt pourtant trois jours après. Pour qui connaît de quelles impressions l'imagination est capable, ce trait n'a rien d'étonnant.

En même temps que les Vampires désolaient l'Allemagne, Paris était infesté des convulsionnaires du cimetière Saint-Médard, autres gens que l'imagination ne tuait pas, mais qu'elle


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rendait fous. Lorsqu'on eut fermé le cimetière qui était le théâtre de leurs jongleries, ils tinrent séances dans les salons et galetas particuliers. Un brave militaire, que rien n'avait jamais étonné, eut la curiosité de les aller voir. Il prit place avec la multitude des spectateurs, et se mit à rire d'abord de la vénération qu'on témoignait aux pieux imbéciles. Un des convulsionnaires, tournant sur lui ses yeux égarés, lui cria d'une voix rauque et solennelle: "Tu ris!. . . songe que tu mourras dans sept jours." Le militaire pâlit, et sortit un moment après. Il regagna son logis, l'imagination frappée d'une menace ridicule, qu'il aurait dû mépriser; il mit ordre à ses affaires, fit son testament, et mourut le septième


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jour de folie ou de frayeur (1).

Guymond de la Touche eut, dit-on, un sort tout semblable. Il était allé chez un prétendu sorcier dans le dessein de découvrir les ruses qu'il mettait en usage: il accompagnait une grande princesse, qui montra en cette occasion plus de force d'esprit que


(1) Dictionnnaire Infernal, au mot Convulsionnaires. -- Les mêmes esprits faibles, qui mouraient en Allemagne et en Lorraine par la peur des morts Vampires, gambadaient à Paris, et faisaient mille extravagances sur le tombeau du diacre Paris. La carcasse d'un saint, que Rome a rejeté par la suite, fut apportée à Dijon au 9e siècle. Ceux qui s'approchaient de cette carcasse faisaient des contorsions épouvantables, comme nos convulsionnaires de 1732. On fut obligé de la faire disparaître.


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lui. L'appareil religieux de chaque expérience, le silence des spectateurs, le respect et l'effroi dont quelques-uns étaient saisis commencèrent à le frapper. Dans l'instant que, tout troublé, il regardait attentivement piquer des épingles dans le sein d'une jeune fille, "Vous êtes bien empressé à vous éclaircir de tout ce qu'on fait ici, lui dit-elle; eh bien! puis que vous êtes si curieux, apprenez que vous mourrez dans trois jours." Ces paroles firent sur lui une impression étonnante; il tomba dans une profonde rêverie; et cette prédiction, aussi bien que tout ce qu'il avait vu, causa en lui une telle révolution qu'il tomba malade, et mourut en effet au bout de trois jours, en 1760 (1).


(1) Même ouvrage, au mot Prédictions.


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Ceux qui se sont trouvés dans les villes affligées de la peste savent par expérience à combien de gens la crainte coûte la vie. Dès qu'une personne se trouve attaquée du moindre mal elle se figure qu'elle est atteinte de la maladie épidémique; et il se fait en elle un si grand mouvement, qu'il est rare qu'elle n'en meure pas. On cite une femme de Marseille qui mourut, pendant la peste de 1720, de la peur qu'elle eut d'une maladie assez légère de sa servante, qu'elle croyait atteinte de l'épidémie. Cette servante ne mourut pas. On pourrait rapporter mille exemples semblables; mais revenons aux Vampires.

Un vieillard de Kisilova apparaît après sa mort à son fils, lui demande à manger, mange et disparaît. Le


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lendemain ce fils raconte à ses voisins ce qui lui est arrivé. La nuit suivante le père ne paraît pas; mais la troisième nuit on trouve le fils mort dans son lit. . .

Qui pourrait ne pas voir dans cette aventure les marques les plus certaines de la prévention et de la peur. La première fois qu'elles agissent sur l'imagination de ce pauvre jeune homme, tourmenté par un prétendu Vampire, elles ne produisent point leur entier effet, et ne font que disposer son esprit à être plus susceptible de s'en frapper vivement: c'est ce qui ne manqua pas d'arriver.

Remarquons que le mort ne revint pas la nuit où le fils communiqua son rêve à ses amis, parce que, selon


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toutes les apparences, ceux-ci veillèrent avec lui, et l'empêchèrent de se livrer à ses frayeurs.