Histoire Des Vampires
et Des Spectres Malfaisans Avec un Examen du Vampirisme by Collin de Plancey PRÉFACE
Dans ce 19e siècle, si grand, si éclairé, si remarquable par ses lumières, on aurait pu croire que les Vampires ne seraient regardés que comme une monstruosité indigne d'un seul moment d'attention: lorsqu'on rit de pitié au récit des effroyables histories des loups-garoux, des sorciers, des revenans et des spectres, devait-on penser que (ij) la France s'occuperait des Vampires de ces morts qui sortent en corps et en âme de leur cercueil pour venir sucer les personnes vivantes, leur donner la mort, et s'engraisser de leur sang!
Voltaire s'étonnait que les Vampires eussent osé paraître en 1730: que dirait-il s'il les voyait revenir aujourd'hui effrayer les jeunes gens, troubler les sens de nos dames, et déranger les cerveaux mal affermis? Lorsque d'imprudens écrivains, sous prétexte d'éveiller (iij) des sensations fortes dans les âmes blasées, égarent les imaginations par les épouvantables aventures des Vampires, sans songer à détruire par un antidote satisfaisant le mal que peuvent causer leurs romans hideux, les amis de la sagesse applaudiront peut-être aux efforts qu'on a faits ici pour donner au lecteur une idée précise des Vampires, des qualités monstrueuses que la superstition leur attribue, des atrocités qu'on leur reproche. On pense surtout que le lecteur ne sera pas fâché de trouver à la suite de l'Histoire (iv) des Vampires us examen des causes qui ont pu faire croire à l'existence de ces spectres, et qui peuvent montrer aujourd'hui quel cas on en doit faire.
On a observe avant nous que la croyance aux Vampires est une abomination anti-religieuse, qui outrage la divinité et la morale éternelle. Comment Dieu, qui est essentiellement bon, juste, sage, puissant, permettrait-il à des morts de sortir de leur tombe en chair et en os (ce qui ne doit avoir lieu qu'à la grande résurrection, pour le jugement dernier), de venir sucer, (v) étouffer, tuer en peu d'instans des personnes étrangères, des êtres innocens, de jeunes filles, des fiancées?...où a-t-on puisé cette doctrine exécrable? Si le vampirisme avait quelque fondement, il faudrait croire que Dieu n'a plus de puissance, et que Satan gouverne désormais ce malheureux monde sublunaire. Des prêtres cependant ont favorisé la croyance aux Vampires et aux spectres malfaisans: ils avaient déjà imaginé les revenans qui demandent des prières: l'égoïsme et l'intérêt expliquent (vj) toutes ces scélératesses: la terreur est un moyen nécessaire pour ceux qui ne savant pas conduire les homes par la raison. On a cru qu'en publiant cette histoire on contribuerait encore à déraciner ces noires superstitions que tant de sages esprits s'appliquent à combattre. On l'a fait sans y attacher de gloire: d'ailleurs ce livre n'est, comme on dit, qu'une compilation. On a profité des savants dissertations de D. Calmet sur les apparitions, les revenans et les Vampires; et ceux qui ont un peu lu (vij) remarqueront qu'on a fait entrer ici tout ce qu'il y avait de remarquable dans les deux volumes du vertueux bénédictin. Mais on a eu soin de remonter aux sources qu'il avait indiquées, et souvent on a découvert des passages que sa position et sa robe lui défendaient de rapporter, et que les lecteurs actuels ne regretteront pas de connaître. Du reste, outré une foule de traits et d'aperçus nouveaux, on a donné aux recherches confuses de D. Calmet un ordre méthodique; on eu a tire des conséquences plus précises, et l'on (viij) espère eu quelque sorte avoir fait un ouvrage nouveau. On observera sans doute encore que ce travail, tout imparfait qu'il est, a nécessité de longues recherches et quelque constance. |